Le Blog

Digression vagabonde - des mots, rien que des mots...

Digression ? Pas tant que cela peut-être... Texte entre deux. De retour de voyage avant le suivant. L'envie de coucher sur le papier les mots qui me viennent afin d'y puiser les ressources pour attendre le prochain. Oui c'est sans doute cela. Pouvoir y revenir sans effort, juste celui de laisser les yeux lire et le cerveau partir en vagabondage bénéfique... Et, partager ce texte, pour savoir si d'autres s'y retrouvent, connaitre éventuellement d'autres expériences. Un partage possible  au gré du bon vouloir du lecteur. 






Voyager, le Larousse nous dit que cela vient du latin « viaticum, provisions de route ». Il complète par le fait qu'il s'agit de l'action de se rendre ou d'être transporté en un autre lieu... Il y a également les termes « exploration », « découverte », « quelque chose qu'on suit comme un parcours »...

Pour ce qui me concerne, tout commence par quelque chose qui déclenche une petite lumière intérieure. L'allumage d'un neurone ? Peut-être... Qu'elle soit dans le présent, dans les souvenirs lointains de mon enfance, consciente ou inconsciente, elle est là et peut surgir au gré des sens en alertes. Les suites d'une lecture, d'une photo, d'un film,  d'une émission, d'une discussion, d'un rêve, d'un mot... Tiens « un mot », cela me fait penser à cet article de  « Jean Romain »  sur le cap Nord1. Un mot m'a interpellé ce jour-là : « déréliction ». Absent de mon vocabulaire il m'a fallu chercher sa définition. Le voyage a commencé. La petite lumière s'est allumée... La curiosité s'est mise en marche. Le Cap Nord et ce bel article sont maintenant ancrés dans ma mémoire pour une utilisation future. Afin de vivre les mots de Jean Romain, et d'autres, un jour prochain... Aller gouter la route et le vent... Un rêve, ancré comme un bateau au mouillage, tournant au gré de la houle. Qui subit les éléments mais ne se détache pas. Un rêve, comme celui de me trouver dans une symphonie de bicylindres sur un pont enjambant le Bosphore et me dire: derrière j'ai le continent européen et devant j'ai l'Asie. Une discussion, quelque part, avec d'autres gens. De ceux dont tu apprends par leurs partages et qui te disent, avec leurs mots, ce qu'ils ont vus et ressentis comme cet échange m'ayant donné une cible Birmane un de ces jours. Une émission, du genre de celle qui te donne envie de devenir célèbre, pour qu'un jour, un « Frédéric Lopez » vienne te voir et te dise je t'emmène en terre inconnue pour ouvrir une parenthèse. Cela peut venir de soi ou des autres, proches ou pas. Mon épouse, grande dame de cœur à mes yeux, accepte mes départs solitaires sans concession. C'est déjà beaucoup. Elle m'a, un jour, ramené un magazine découvert dans son échoppe habituel. Ce magazine de voyage à moto a éclairé intensément l'intérieur de mon être en me donnant de nouveaux horizons. Il m'incite à dépasser mes frontières internes. La lecture et les photos, fabuleuses sources d'inspirations qui créent l'envie (peut-être s'en mord-elle les doigts maintenant). Encore une envie qui fait qu'on aimerait qu'un « Collin Audibert » nous dise : allez, viens, je t'emmène!!! Bref, il faut bien, un jour, arriver à transposer dans sa réalité toutes ces petites lumières pour laisser la place au reste à découvrir. De ces lumières naissent l'envie. Envie qui provoque la mise en mouvement pour préparer, un tant soit peu, ce qui arrivera. Le mouvement établi crée l'excitation, permet de définir les parcours, d'identifier les points clefs, ceux dont on ne veut absolument pas passer à côté. Donne les axes de recherche et nourri toujours et toujours cette envie qui ne fait que grandir. Sans doute l'ingrédient qui, comme l'art, donne de la saveur à nos vies, tel le sel à notre nourriture terrestre. Cette envie grandissante permet d'attendre, avec impatience parfois, la date ou les bagages vont pouvoir être faits. 

Bizarrement, le fait de mettre en sac le nécessaire provoque chez moi un départ presque immédiat. C'est comme si j'étais déjà dans l'avion ou si le contact de ma formidable machine à voyager était mis.  Au grand dam de mon épouse qui voudrait bien pouvoir profiter, pour les quelques heures restantes, de ma présence psychique en même temps que ma présence physique. Je lutte à chaque fois, mais je dois bien l'écrire c'est un échec persistant. Un jour, j'y arriverai par respect pour elle. La nuit précédant le départ me rappelle à chaque fois l'excitation de mon enfance lors de la nuit de la veille de Noël. Je dors peu, comme à cette époque. L'attente à l'aéroport ou tourner la clef de la moto à l'instant du départ est un plaisir immense. Le cerveau s'évade. Le voyage commence physiquement et s'intensifie psychiquement. Cette comparaison hasardeuse entre l'avion et la moto a ses limites. Les pouvoirs attribués par mon cerveau à ces deux moyens sont différents. Inexorablement, le moyen à deux roues l'emporte au fil du temps, même si j'aime revenir parfois à l'avion avec mon sac à dos. L'utilisation de la moto me fait, à chaque fois, entrer bien plus vite dans "l'état" du voyageur. Cet état, pas second, ou toutes les portes sont ouvertes, les problèmes n'existent plus, le quotidien a disparu. Il n'y a plus de freins. Le fait de partir seul accentue davantage cette sensation de liberté et d'ouverture à l'autre. Les picotements du bonheur ? L’autre, si important pour les rencontres à venir, afin d'apprendre de lui mais aussi de soi. L'engin harnaché et le motard, surtout s'il est seul, sont une source importante des rencontres. Une incitation pour les autres à venir au contact. Découvrir d'où le motard vient, les chemins qu'il suit, qui il est... Une sorte de clef. De fil en aiguille, les autochtones expliquent leur pays, ce qu'ils vivent, qui ils sont. 

L'esprit est ensuite nourrit par tous les sens et les émotions diverses affluent. Au fil des kilomètres parcourus, des routes suivies, des sentiers empruntés, les paysages nouveaux se laissent découvrir pour le plaisir des yeux avant d'atteindre parfois le cœur devant tant de beauté. Comme rester coi au sommet d'un col, en découvrant la vue surplombant la vallée du Douro au Portugal. Il y a nécessité de poser l'engin, de s'arrêter et d'apprécier, le temps qu'il faut, pour s'en imprégner. Laisser venir les larmes de l'émotion, s'abandonner... On comprend, à ce moment-là, le classement de cette vallée au patrimoine mondial de l'Unesco. Comment ne pas décrire également le sentiment « du petit aventurier », lorsque le voyage se fait sur des pistes perdues, isolées...qu’on se bat avec le chemin en essayant de maitriser la moto, pour passer…en sécurité. Le voyage est aussi rythmé par les repas pris. Les saveurs découvertes viennent enrichir la base de données culinaire et les sensations gustatives. Parfois surprenante lorsque l'apéritif est servi avec des insectes grillés au Zimbabwe ou délicieuse comme  ces gnocchis aux betteraves d'Aoste. Au fil des pauses, des arrivées d'étapes, après le déchargement,  l'installation du bivouac, la prise de la chambre d'hôtel, la découverte de l'endroit, le rythme s'installe au fil des jours. Ponctués de délicieux moments, de plaisirs minuscules comme lors d'une première gorgée de bière si bien décrite par Philippe Delerm2. Sensations éprouvées à chaque fois, une fois le sac posé, la bière servie, lorsque la fatigue se fait sentir, que le film de la journée passée se déroule, qu'on lâche prise…Et qu'on porte le verre à ses lèvres, juste avant de commencer à préparer la suivante. Ce rythme est également ponctué par les éventuelles déceptions, souvent de courtes durées. Par les craintes, parfois irraisonnées, comme à Naples ou raisonnées comme à Windhoek en voyant que devant chaque établissement, un garde en arme est là, devant la porte. Ce rythme fait aussi parfois venir la peur, lorsqu'une certaine prise de conscience se produit au moment de poser un acte qu'on pourrait regretter. Comme, quand la piste empruntée pour passer d'Espagne au Portugal, se trouve éventrée sur toute sa largeur et qu'il faut   faire un choix : traverser ce trou béant avec la moto, juste à l'aide de planches et d'une glissière de sécurité trouvées sur le bas-côté ou revenir sur ses pas sur plusieurs kilomètres pour trouver une autre route. Les nouvelles odeurs peuvent aussi nous marquer. Je me souviens de celles présentes à Madagascar, la vanille, le thé, la banane, les clous de girofle qui sèchent, la terre rouge après la pluie... La musique, les chants, les coutumes des pays traversés donnent aussi de nouvelles émotions. Entendre les cris d'animaux dans la jungle thaïlandaise a été un vrai dépaysement. Frémir et se demander ce qui va se passer en entendant les barrissements assourdissants d'un troupeau d'éléphants en Namibie. On se sent petit, mais petit, malgré la stature de celui qui écoute les yeux ébahis. La plus belle des émotions vient, à mon sens, des rencontres inopinées avec les gens. Pouvoir partager, ne serait-ce que quelques instants, du temps et de l'attention des personnes visitées est la plus grande source d'enrichissements pour soi et son futur. Le retour est immédiat. Le partage est réel. Chacun en sort grandit. J'ai le souvenir de cet instituteur de Madagascar rencontré au  nord de l'île de Ste Marie. J'avais engagé un long échange avec lui sur les modes de vies, les problèmes qu'il rencontre, etc... J'y avais appris, entre autre, que, parce qu'il n'a pas de dictionnaire, il note sur un cahier, les mots (avec leurs définitions) qu'il entend pour la première fois dans ses discussions avec les touristes français... afin de les transmettre à ses élèves. Ou encore, ma rencontre avec les habitants d'un petit village de montagne perdu au nord du Portugal qui m'avait accueilli à bras ouvert en me voyant passer. Cela me fait aussi penser à ce groupe rencontré à Altdorf. La rencontre a eu lieu parce qu'il pleuvait et qu'ils se sont retrouvés autour de moi, qui étais à l'abri, au moment de prendre un verre entre ami. J'ai passé une soirée délicieuse avec eux malgré la barrière de la langue. 

Pour tout cela, comme l'a écrit Calliope : « cette solitude n'est pas déréliction »1

Enfin il y a le retour. La joie de retrouver les siens malgré l'arrêt du voyage. L'itinéraire retour me sert à cela. Se préparer à abandonner le vécu du passé récent. Faire passer tout cela au stade du souvenir et des ressources intérieures… Ressources qui serviront à soigner les bobos du quotidien à venir. Savoir qu'on va pouvoir poser son sac sans se poser de questions. Et chercher quelle petite lumière présente dans le cerveau va nous refaire passer à l'envie.... 



Renvoi 1 : Article sur un voyage en Norvège de Jean ROMAIN publié dans Road-Trip 
n°16.

Renvoi 2 : La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe DELERM édition L'Arpenteur. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Carnet de voyages Designed by Sylvain BAZIN and inspired by Templateism | Blogger Templates Copyright © 2019